Tourisme, identité, territoire... Le cas du Cézallier.

Pour beaucoup d’habitants, le critère de délimitation est le plateau (22 personnes sur 67 interrogées) et l’altitude élevée (20 personnes). Ensuite, de nombreuses personnes le délimitent suivant leurs connaissances. C’est ici qu’intervient la relation entre espace vécu et espace perçu. Beaucoup délimitent leur espace perçu suivant leur espace vécu : "après je ne connais pas, alors je ne le mets pas dans le Cézallier". L’interaction avec l’espace vécu est également visible dans la différence qu’il existe entre le critère de délimitation et la délimitation de l’espace. Lorsqu’une personne me dit délimiter le Cézallier suivant le critère "plateau", on se rend compte que sur la carte, elle ne peut pas le définir. Le "plateau" qu’elle dessine ne correspond pas au plateau géographique. Ceci est vrai pour la plupart des critères. Ainsi le Cézallier représente quelque chose dans l’imaginaire des habitants mais ils ont du mal à le délimiter précisément.

11 personnes ont dessiné un Cézallier autour de leur maison. Ces personnes se trouvent généralement dans des endroits que l’on peut déterminer comme étant le "cœur" du Cézallier (Marcenat, Montgreleix, St-Alyre-ès-Montagne). Cela veut dire qu’elles habitent dans un endroit caractéristique (grandes étendues de pâturages, peu de monde, altitude…). De ce fait, elles confondent le cœur avec le centre géographique. Alors que Montgreleix est situé à la bordure ouest du plateau d’un point de vue géographique, certains habitants de cette commune l’ont placé au centre. Pour eux, le Cézallier correspond à un cercle qui s’étend autour de Montgreleix, qui déborde ainsi largement sur l’Artense et le Sancy.

Le dernier critère géographique, le paysage, est nommé par 10 personnes, soit 16 %. On peut être surpris par ce faible pourcentage ; le Cézallier est, après un plateau, un paysage particulier, unique. Mais les habitants n’en font pas un critère de délimitation. Ceci doit être du au fait qu’ils ne ressentent pas le paysage de la même manière que l’altitude ou le plateau. En effet, l’altitude a un énorme impact dans leur mode de vie, notamment l’hiver. De plus, on parle du "plateau du Cézallier" beaucoup plus que du "paysage unique du Cézallier". La composante identitaire "paysage" ne semble pas ancrée dans l’esprit des habitants. Mais ceci est dû au fait que les terme de "montagne" ou de "plateau" existent depuis des siècles. Les agriculteurs du plateau exploitent ou possèdent des "montagnes" qui sont en fait des terres d’estive. A l’inverse, le mot "paysage" s’est inséré dans le langage de la société agricole beaucoup plus récemment, depuis les politiques qui ont officialisés la fonction "d’entretien des paysages" dans le métier d’agriculteur. Les paysans se voient attribuer un rôle de protection du paysage, rôle qu’ils jouaient parfaitement avant, mais sans que ce soit une fonction explicite de leur métier. Ainsi, les habitants du plateau ont toujours parlé de montagne pour le décrire, beaucoup moins de paysage. Ils sont cependant tout à fait conscients de la spécificité du paysage du Cézallier et de son importance, sans pour autant pouvoir l’exprimer spontanément. Il est donc bien inscrit dans l’esprit des Cézallieriens, mais pas dans leur langage.

Enfin, 9 personnes le délimitent suivant le critère administratif. Il s’agit là de l’impact de la Communauté de Communes du Cézallier et du Pays d’Ardes, et donc de la limite départementale. J’ai souvent eu comme réponse "ah non, là, c’est le Puy-de-Dôme, c’est plus le Cézallier" ou encore "oui, on est du Cézallier puisqu’on est de la Communauté de Communes". Les limites administratives influencent donc la perception qu’ont les habitants de leur territoire. Les "pays" et les communautés de communes entrent en jeu dans l’identité. Or, le plateau est divisé administrativement. On se rend compte ici de l’importance de la limite départementale dans la représentation qu’ont les habitants de leur territoire. La division administrative représente un frein au processus de territorialisation du plateau, car ne favorise pas la création d’une identité Cézallier commune.

Le Cézallier est délimité suivant des critères très variés. Certains sont géographiques, politiques ou correspondent au vécu des personnes. Ainsi, nous obtenons des Cézallier perçus différemment suivant les habitants, leur lieu d’habitation…

Le Cézallier perçu par ses habitants.

La première remarque à faire sur ce point est la difficulté qu’ont eu les habitants à me dessiner les limites du Cézallier sur un fond de carte. La plupart d’entre eux ont éprouvé beaucoup de difficultés à le délimiter précisément et spontanément. Lorsque je leur demandais de me dessiner le Cézallier, certains me répondent "on ne s’est jamais posé la question de savoir jusqu’où il s’étend". "On y habite mais on ne sait pas jusqu’où il va". Ils ont donc été très hésitants pour déterminer leur territoire Cézallier.

Les limites varient énormément d’une personne à une autre. Ainsi, une personne de Mazoires a dessiné un Cézallier composé uniquement de 4 communes ; à l’opposé, pour une personne de Peyrusse, le Cézallier s’étend sur 45 communes. Nous allons d’abord analyser le Cézallier perçu par l’ensemble des personnes interrogées, puis nous détaillerons l’étude en fonction des lieux d’habitation des sondés.

Il apparaît comme un espace plus ou moins circulaire, que l’on peut découper en plusieurs couronnes (figure 4). Le cœur est composé de 10 communes, citées par 52 personnes ou plus. Ces communes sont toutes inscrites dans le Cézallier géographique. Il s’agit de Allanche, Landeyrat, Vèze, Pradiers, Marcenat, Montgreleix, Anzat-le-Luguet, Espinchal, La Godivelle et Saint-alyre-ès-Montagne.

6 communes sont citées entre 33 et 48 fois. Elles touchent le cœur du plateau mais n’en font pas le tour, loin de là. Ces 6 communes sont réparties aussi bien dans le Cantal que dans le Puy-de-Dôme, et ne sont inscrites que pour moitié dans le Cézallier géographique. Il s’agit ces communes de Vernols, Condat, Chanterelle, Compains, Mazoires et Ardes-sur-couze.
L’auréole périphérique est alors complétée par 12 communes citées entre 18 et 32 fois et touchent le plus souvent le cœur du Cézallier.
9 autres communes sont citées de 12 à 16 fois.

L’ensemble de ces communes, citées par plus de 25 % des personnes interrogées comme faisant partie du Cézallier, peut représenter le territoire "Cézallier" aux yeux de la population. Cependant, 6 communes du Cézallier géographique ne font pas partie de ces communes. Elles sont situées aux extrémités nord et sud. En revanche, le Cézallier perçu par les habitants est plus étendu à l’ouest que le Cézallier géographique. On ressent ici l’influence du pôle de Riom-ès-Montagne. Ce dernier est relativement éloigné du Cézallier. Cependant, de nombreuses personnes se l’imaginent dans le plateau du fait de sa notoriété. Ceci aboutit à un élargissement du plateau à l’ouest. Le même phénomène se passe pour le cas d’Ardes-sur-couze. Mais cette commune touche le Cézallier géographique. Les conséquences spatiales sont donc moins visibles.
10 communes sont citées de 6 à 10 fois.

Enfin, 17 communes sont citées 5 fois ou moins. Ces dernières sont négligeables dans l’analyse du Cézallier perçu par ses habitants. Elles démontrent cependant ce que nous disions précédemment : le Cézallier est peu connu par ses habitants, et peut parfois s’étendre à des espaces qui lui sont totalement étrangers. Le fait que certaines personnes rattachent au Cézallier des communes telles que Besse, Menet, Lavigerie, Murat ou encore Massiac montre que le territoire est réellement méconnu, au moins par une partie de la population.

Suivant le lieu d’habitation, la perception du territoire varie.

Il existe des disparités dans la perception qu’ont les personnes de leur territoire suivant le lieu où ils se trouvent. Globalement, dans le cas présent, on a le sentiment que la limite départementale influence beaucoup la perception. Ainsi, les personnes du Cantal représentent un plateau majoritairement Cantalien, alors que ceux du Puy-de-Dôme et de la Haute-Loire l’étendent moins dans le Cantal (figure 5).

La distance influence également nettement la perception qu’ont les habitants de leur territoire. Cela est très visible sur les cartes dessinées par la catégorie 3 et 4. Pour la première, on note que le Cézallier ne s’étend pas au-delà d’Ardes-sur-couze. Ceci est du à la notoriété de ce bourg qui a joué un grand rôle dans l’économie du plateau pendant de nombreux siècles. En revanche, pour ces mêmes personnes, le plateau s’étend largement à l’ouest, jusqu’à Riom-ès-Montagne. Pour les personnes de la catégorie 4, Le Cézallier ne s’étend pas au-delà de Montboudif, connu pour être le lieu de naissance du Président Pompidou. Au-delà, les personnes ne connaissent pas les communes et donc ne les mettent pas dans le plateau. Ceci rejoint le critère de délimitation d’un tiers des habitants, qui dessinent un plateau suivant leurs connaissances.

Notons que le Cézallier géographique est composé pour 60 % de communes Cantaliennes. Ceci minimise le contraste observé suivant le lieu d’habitation, mais ne l’efface pas. Il est normal que le Cézallier perçu par les habitants soit majoritairement Cantalien, si on se réfère aux limites du Cézallier géographique. Cependant, les habitants du Cantal le perçoivent comme composé à 70 % environ par des communes de leur département, alors que les habitants du Puy-de-Dôme et de la Haute-Loire le voient seulement à 45 % Cantalien.

Il faut également noter la forme plus ou moins circulaire accordée au plateau par les habitants. Le cercle est une représentation dominante de l’esprit. De ce fait, les communes aux extrémités nord et sud sortent de ce cercle et ne font pas souvent partie du Cézallier perçu par les autochtones.

Dans l’ensemble, nous avons vu que les habitants ont du mal à définir leur territoire. De ce constat, une enquête téléphonique a été effectuée pour pouvoir faire une carte d’appartenance. En effet, l’enquête sur le terrain n’a pas couvert l’ensemble des communes du Cézallier géographique et de ses bordures. Or, il apparaît intéressant de savoir, pour chaque commune, le sentiment d’appartenance au Cézallier des habitants. L’enquête téléphonique consistait à demander aux habitants s’ils se sentaient appartenir au Cézallier.

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